La notion même de création de valeur a évolué au cours de ces dernières décennies, entrainant avec elle les contraintes économiques et organisationnelles des entreprises condamnées à suivre le mouvement pour rester dans la course de la viabilité. Seulement voila, cette évolution implique une remise en question de « l’establishment », exercice plus ou moins périlleux selon les secteurs.

Dans l’univers viticole s’opposent historiquement deux grands modèles: les structures orientées vers la production et celles orientées vers la commercialisation. Même si l’un ne va pas sans l’autre, il s’agit ici davantage de considérer l’état d’esprit général, et nous pouvons l’illustrer par la classique opposition entre les modèles du « Nouveau Monde » -Chili, Etats-Unis, Australie, Argentine – et ceux plus classiques des pays producteurs européens, et en particulier la France. En effet, au sein de l’Europe, il semble que la France ait pris un train de retard par rapport à ses voisins espagnols, portugais, ou italiens sur les sujets périphériques à la production: le storytelling, l’oenotourisme, bref ce que nous pouvons synthétiser par « l’expérience utilisateur » du consommateur de vin. Et c’est bien de cela qu’il s’agit, car nous vivons aujourd’hui dans une société où l’expérience prime avant la technologie.

« La valeur économique a commencé avec les ressources (céréales, minéraux). Les individus ont transformé les ressources en biens, réduisant les ressources à des marchandises. Puis, les services sont nés, réduisant les biens à des marchandises à leur tour. Aujourd’hui, vous l’aurez compris, ce sont les services qui deviennent des marchandises. Les expériences représentent le nouveau type de valeur économique, avec les services comme scène et les biens comme piliers. » B. Joseph Pine II, The experience economy

Cette nouvelle donne implique un changement d’approche des marchés et de leurs consommateurs. Un changement de la notion même de création de valeur, qui n’est plus fonction de la simple mise en marché d’un produit, mais de la promesse de l’expérience qu’il propose à son utilisateur. L’Apple Watch améliore notre quotidien, la Tesla nous propulse dans le costume de l’Homme moderne ayant intégré les enjeux environnementaux, le Red Bull nous donne des ailes… Et le vin dans tout cela?

Bien entendu il porte d’autres valeurs liées à la tradition, à la culture, et à l’art de vivre. Mais malgré tout, le vin se trouve aujourd’hui au sein d’un paradoxe, où les nombreuses avancées technologiques ayant améliorées sa qualité ne parviennent pas à réellement trouver d’écho en terme de valorisation. En effet, les viticulteurs désireux d’innover techniquement parlant sont parfois contraints pour exister de sortir du principal système de hiérarchisation de la valeur, celui des AOC. Assurant un certain garde-fou quant aux traditions, ce système pose aussi le premier carcan de valorisation, indépendamment du travail effectif réalisé par le vigneron, cf les prix des transactions réalisées par appellation, fixant le niveau hebdomadaire des cours.

Le marché viticole est ainsi régit par des mécanismes complexes qui ralentissent la mise en place d’un marketing expérientiel, dédié non pas à la recherche de valorisation d’un produit, mais à la promotion d’une expérience nouvelle, spécifique et unique. Il existe pourtant une clé que les entreprises ou les services marketing peuvent mettre en place à leur niveau, le design thinking comme solution pour designer des expériences. Il s’agit d’une approche de l’innovation et de son management qui se veut une synthèse entre la pensée analytique et la pensée intuitive.

Comment cela peut-il concrètement se mettre en place? Par une approche mesurée de l’innovation. L’idée est de créer une rupture sur l’un des piliers du mix marketing du vin, en dehors du vin lui-même – packaging, promotion, communication; et de cantonner tout d’abord cette rupture dans un contexte commercial déterminé: un client, un réseau, un pays.

Le design thinking créé ainsi une innovation expérientielle, permettant d’allier la désirabilité, la viabilité, et la faisabilité. Il permet la création d’une rupture dans le design global du produit

Design Thinking

Mais il existe de nombreux freins ou blocage à la mise en place de cette démarche d’innovation au sein des entreprises. La première étant par essence liée à la hiérarchie et aux rôles de chacun au sein de l’entreprise. La vision classique cantonnant la direction à piloter et donner les orientations, et les équipes à gérer le quotidien. La difficulté consiste à ce que chacun puisse apporter à l’autre dans une approche de liberté totale, nécessaire pour faire émerger la créativité.

Car en effet mettre en place l’approche thinking design ou design de rupture nécessite des aménagements spécifiques au sein de l’entreprise, des aménagements qui favorisent l’expérimentation. Cela part par la constitution d’une équipe pluri-disciplinaire dont on laisse une grande liberté d’action dans le cadre d’un objectif précis atteindre. Le temps, l’alternance de sujets « pro » et d’activités « perso », l’input de spécialistes externes à l’entreprise et impliqués dans son développement sont les ingrédients nécessaires à la réussite de l’expérience. Des entreprises précurseurs fonctionnent déjà comme cela avec des aménagements et des fonctionnements dédiés à l’innovation: le GYM chez Procter&Gamble, le Learningcenter chez Steelcase, ou l’Ornethorynque chez Mattel.

En conclusion, nous retiendrons que les approches d’innovation guidées par le « design thinking » sont à considérer pour faire émerger la promotion de l’expérience utilisateur auprès du consommateur et ainsi s’inscrire dans les critères de valorisation actuels. Le milieu du vin semble plus hermétique que d’autre dans la mise en application de cette approche, et il convient de s’inspirer de nos cousins du « Nouveau Monde » quant à leur approches disruptives au niveau du marketing, du storytelling, et de l’oenotourisme. La réussite de cette opération semble être liée à certaines conditions au sein des entreprises traditionnelles:

  1. La constitution d’équipes ou de services dédiés à l’émergence de ces innovations.

  2. L’aménagement de temps favorables à l’émergence de la créativité.

  3. Le partenariat avec des spécialistes du marketing, du design, et de la communication externes à l’entreprise, et dédiés au secteur d’activité.